Richard Dawkins et Pierre Jovanovic: Les mèmes et les bêtes

   Qui de l’œuf ou de la poule est apparu le premier ? Cette question est un paradoxe célèbre. Pourtant, les biologistes évolutionnistes peuvent répondre que l’œuf est apparu en premier, car les oiseaux sont des descendants des dinosaures et que les dinosaures pondaient des œufs. Cependant, une solution à ce paradoxe apportée par Samuel Butler est intéressante : « La poule est seulement un moyen pour l’œuf de faire un autre œuf ». Elle offre une autre vision du monde. Cette vision sera reprise par Richard Dawkins dans son livre « le gène égoïste » (1).

   N’importe quelle personne s’intéressant actuellement à la Biologie, sait ce qu’est un gène. Mais, résumons-le pour que cela soit clair pour tout le monde : un gène est une information codée par une molécule, l’ADN, permettant de constituer un élément d’un organisme. Par exemple, le gène « couleur des yeux » indique la couleur des yeux de l’individu qui le porte. Ce gène peut avoir plusieurs variants de l’information, appelé allèle. Par exemple, le gène couleur des yeux peut avoir un allèle « bleu » et un allèle « marron ». Ce sont les allèles qui sont transmis par les parents lors de la fécondation. Ainsi, un individu reçoit deux allèles du gène « couleur des yeux » par ses parents, pouvant être identiques ou différents. Par conséquent, ces allèles peuvent s’exprimer en même temps ou l’un d’entre eux va dominer l’autre pour former l’organisme. Toujours dans l’exemple du gène « couleur des yeux » chez l’humain, l’allèle « bleu » est toujours dominé par l’allèle « marron » ce qui aura pour conséquence le fait que l’individu aura les yeux marrons alors qu’il peut posséder l’allèle « bleu ». Ainsi, cette explication montre que les gènes sont des constituants des organismes, car ils ont une incidence sur la formation de ceux-ci. Pourtant, Richard Dawkins va exposer une autre vision en se basant sur la réponse de Samuel Butler.

    Dans son livre « le gène égoïste », Richard Dawkins émet l’hypothèse que le gène n’est qu’un réplicateur, c’est-à-dire qu’il cherche à se répliquer le plus possible dans un environnement. Par conséquent, une autre hypothèse de Richard Dawkins est que le gène créé un organisme juste pour se protéger de l’environnement et/ou également assimiler plus rapidement les éléments nécessaires à sa reproduction. Donc, l’organisme n’est qu’une enveloppe permettant au gène de se reproduire rapidement avec sûreté avant d’essaimer et de conquérir d’autres environnements. En résumé, l’organisme n’est qu’un véhicule crée par le gène au cours de l’évolution. Pour que le gène survive le plus longtemps possible, il va donc adopter plusieurs stratégies :

  • Une multiplication rapide en grand nombre

  • Une augmentation rapide de sa diversité pour augmenter ses chances de survie dans l’environnement changeant (–> faire face au chaos de l’univers)

  • Une coopération avec d’autres gènes pour augmenter leurs chances réciproques de survie.

   Par conséquent, tous les gènes ayant des difficultés à se reproduire disparaîtront au cours du temps face à la pression des gènes ayant mise en place des stratégies plus agressives. Richard Dawkins parle donc de gènes égoïstes car les gènes cherchent avant tout sa survie plutôt que celle de l’organisme qu’il a codé.

   Cette vision du premier élément constitutif de la vie peut sembler étrange voir grotesque pour des organismes aussi évolués que nous, les humains. Pourtant, si on observe des microorganismes et qu’on admette le fait que l’évolution des gènes a eu 4 milliards d’année pour tenter toutes les possibilités, on peut très bien dire que les bactéries ne sont que des véhicules pour des gènes cherchant à se répliquer dans divers environnements le plus rapidement possible. Et quand on aborde le cas des virus (dont le débat pour savoir si ce sont des organismes est toujours d’actualité au sein de la communauté scientifique), il s’agit bien que d’une succession de gènes encodés par de l’ADN (ou de l’ARN) et protégés par au moins une enveloppe protéique (voir ci-dessous). Par conséquent, cette vision de la biologie nous amène à nous interroger sur ce qu’est réellement la vie et la nature. Sommes-nous des entités constitués de molécules particulières appelés ADN, ARN, protéines, lipides et glucides ordonnées de façon cohérente pour pouvoir « vivre » sur Terre ? Ou sommes-nous simplement qu’un ensemble d’informations qui coopèrent et est incarné dans la matière de l’univers ? Oups, un petit vertige tout à coup.

tobamovirus

Exemple de génome d’un virus de la famille des tobamovirus: ce génome est constitué de 3 gènes représentés par des couleurs différentes: le vert code la protéine intervenant dans la réplication du génome de ce virus, le bleu code la protéine permettant le déplacement du virus dans les cellules des plantes qu’il infecte, et le rouge code la protéine participant à l’enveloppe protéique du génome, lui permettant de ne pas être dégradé par l’environnement extérieur.

   Bien, maintenant qu’on a fait une petite introduction biologique, revenons à Richard Dawkins. Cet éminent biologiste appartient au courant du néo-darwinisme, car il a défini que l’évolution s’était probablement faite par les gènes, afin de se répliquer rapidement, plutôt que par des animaux qui se seraient simplement adaptés aux évolutions de leurs environnements réciproques. Sur ce point, il s’est souvent retrouvé opposé à Stephen Jay Gould qui amenait des faits basés sur l’évolution des fossiles au cours des temps préhistoriques. Mais si on revient sur la notion de réplicateur, Richard Dawkins parle de gènes comme étant des informations supportées par un médium, moyen de communication, la molécule d’ADN dans ce cas précis. Par conséquent, il extrapole cette vision du monde du vivant en introduisant les mèmes (chapitre 11 de son livre « le gène égoïste ») : à savoir une information utilisant comme vecteur le cerveau des humains pour se répliquer. Ce terme est aujourd’hui repris aisément sur internet pour qualifier divers vidéos ou informations « virales ». En dehors d’internet, on peut également retrouver des mèmes dans la culture humaine à travers la musique, les idées, la mode vestimentaire, etc …. Certains de ces mèmes ont eu des conséquences politiques comme celui de la quenelle de Dieudonné M’bala M’bala (ici nous avons affaire à un geste potache repris par divers individus) et le second mème associé à ce premier par son interprétation comme un « salut nazi inversé » (mème repris par les médias et certains membres du gouvernement français). Par ailleurs le terme « mème » définit par Richard Dawkins est une référence judicieuse au terme français « même » montrant bien que l’information se réplique de manière identique, réduisant les humains qui les transmettent à de simples médias (vecteur de communication). Ainsi, tous ces mèmes finissent par se retrouver dans la culture humaine (voire la définir). De plus, certains de ces mèmes peuvent se retrouver associé entre eux jusqu’à former des idéologies perdant lien avec la réalité matérielle du fait de leur absence de support moléculaire. Ainsi, ils ne deviennent que pure spéculation virtuelle.

   Si les gènes sont des éléments constitutifs des organismes, pouvons-nous également spéculer sur la possibilité de création d’entités uniquement basés sur des mèmes qui s’associent et se coordonnent ? Comme les mèmes n’ont pas de support réel en dehors du cerveau des humains, il ne peut pas y avoir d’entité physique alors que le gène est supporté par la molécule d’ADN. Par contre, les mèmes peuvent influencer les actions des individus humains, voire des foules humaines, et ainsi avoir des répercussions sur notre environnement. Prenons pour exemple Apple, qui à travers divers mèmes judicieux, a permis de créer un comportement de masse de consommation de certains de ses produits (Ipad, Ipod, etc…) facilitant son enrichissement ainsi que de celui des personnes qui la dirige. Imaginons notre monde sans Apple, je pense qu’on peut dire que notre quotidien serait sensiblement différent alors qu’elle propose des objets non-utiles pour notre vie. Pouvons-nous parler d’entité dans le cas d’Apple, je ne le pense pas bien que sa stratégie commerciale repose beaucoup sur une communication mimétique. Par contre, au cours de l’histoire humaine, on peut probablement trouver des exemples d’entités basés sur des mèmes. Le nazisme est probablement l’une d’eux. Même si nous avons la facilité de l’incarner uniquement en un homme, Adolf Hitler, cette idéologie a été supportée par un grand nombre d’intellectuels qui en fin de compte rende réellement difficile d’attribuer la paternité de cette idéologie à un seul homme. Par exemple, l’antisémitisme, l’eugénisme, le pangermanisme sont autant d’idéologies différentes se retrouvant mêlé à l’idéologie nazie alors que la plupart sont antérieures à la naissance de ce cher Adolf. Le tuer aurait-il pu empêcher le nazisme ? Probablement pas. Vu les conséquences de cette idéologie et le nombre de ses vecteurs humains, il peut être sage de parler du nazisme comme d’une entité plutôt que comme conséquence de la folie d’un seul homme.

   Dans son livre « 777 : La chute du Vatican et de Wall Street de Saint Jean » (2), Pierre Jovanovic fait une analyse particulière de certains passages des textes de l’Apocalypse selon Saint Jean. Il associe deux bêtes de l’apocalypse à l’ « argent » et les « médias » respectivement. Il explique que l’argent et les médias sont devenus deux systèmes participant à la mise en esclavage du peuple. Les bêtes sont donc des métaphores décrits par Saint Jean (individu projeté dans notre présent, et essayant d’exprimer ce qu’il a vu à ses congénères d’après Pierre Jovanovic) : il essaye de décrire deux systèmes comme étant des monstres symbolisés par divers objets permettant leurs interactions avec le monde réel (par exemple la télévision pour la bête média). Mais le terme de bête peut aussi être couramment attribué à des animaux. Ainsi, on peut faire un parallèle avec les gènes et les organismes. Finalement, le choix du terme de bête pour les créatures de l’apocalypse est peut-être une manière de rendre accessible le fait que deux systèmes sont devenus des entités créés par des idées abstraites qui se répliquent et s’associent, porté par des vecteurs humains perdant pieds avec la réalité.

   A défaut de savoir si cette vision est juste, il me semble que nous devons nous interroger vis-à-vis de notre vie quotidienne. Sommes-nous des êtres conscients jouissant d’une liberté via notre intelligence ? Ou alors ne sommes-nous plus que des médias de mèmes, simple vecteur ne consommant la réalité que pour satisfaire nos besoins vitaux animales ?

PS : Un autre live abordant ce sujet est « Le principe de Lucifer tome 2 : le cerveau global » (3) écrit par Howard Bloom. Pour résumé grossièrement, Howard Bloom part du principe que l’humanité peut se rassembler et devenir un cerveau global pensant et agissant par, notamment, une utilisation intelligente d’internet (grâce à sa diminution des distances et des temps de communication entre les individus). Pour lui, ce cerveau est l’une des finalités de l’humanité et permettra de résoudre un grand nombre de problèmes actuels. Pour moi, je pense qu’il se trompe, car je pars du principe qu’il existe déjà des cerveaux globaux, et que l’humanité ne se définit pas en tant que cerveau global. Notre langage nous limite dans la communication de notre expérience du monde réelle et par conséquent, il y aura toujours des conflits entre des individus empêchant un rassemblement de toute l’humanité en une immense entité intellectuelle. Néanmoins, je vous invite à lire ses livres qui sont passionnants et faciles d’accès.

Bibliographie

  1. Le gène égoïste, Richard Dawkins, 1976, édition Odile Jacob
  2. 777: La chute du Vatican et de Wall Street, Pierre jovanovic, 2009, édition le jardin des livres
  3. Le principe de Lucifer, Tome 2: le cerveau global, Howard Bloom, 2003, édition le jardin des livres

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